Crimes contre l'humanité
La date du 10 mai a été retenue pour célébrer la "Journée des mémoires de
la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions". Cette date est
celle de l'adoption par le sénat de la loi "Taubira" (1)
qui proclame l'esclavage et la traite négrière comme crime contre l'humanité.
Si notre vision actuelle du monde considère l'esclavage comme un crime contre
l'humanité sans que cela puisse une seconde nourir la moindre polémique, la
relecture de l'histoire avec une vision moderne ne peut que
soulever l'interrogation. Comment ne pas alors passer au scanner de la
conception humaniste actuelle l'ensemble de l'histoire de l'humanité et de
toutes ses civilisations ?
On perçoit immédiatement que toutes les périodes qui se sont succédées et qui
allaient bien plus tard nourir notre vision actelle du monde ne pouvaient bien
évidemment pas y souscrire. Depuis les jeux du cirque jusqu'aux guerres de
religions, en passant par le servage, des pratiques que nous qualifierions
d'inhumaines, ont existé et on participé à la construction de notre
civilisation actuelle et de ses valeurs. On n'en porte pas moins un regard
circonstancié d'historien soucieux de replacer les événements et pratiques dans
une vision synthétique où on ne fait que constater, en ne portant de
jugement qu'en rapport aux pratiques des civilisations d'alors.
Nuremberg
Ainsi, historiquement, la notion de crime contre
l'humanité date de Nuremberg et du jugement des criminels nazis ayant planifié
et perpétré le génocide l'encontre des Juifs. C'est un terme jurique créé
alors pour définir et pouvoir condamner des crimes dans leur actualité et
qui étaient à l'époque où il se sont produits, un phénomène exceptionnel.
La mesure prise fut le tribunal de Nuremberg où siégèrent les grandes
puissances d'alors pour juger les criminels auteurs du génocide(2).
Le crime contre l'humanité alors défini concernait des criminels vivants lors
du jugement, et des victimes parmis lesquelles, les rescapés demandaient
justice.
Un anachronisme à visée politique
Détourner cela vers des faits vieux de plus de 200 à 500 ans pose
plusieurs problèmes.
Le premier est l'anachronisme de cette vision qui à
l'époque des faits était non seulement inexistante, mais encore inenvisageable.
Plus encore, historiquement l'esclavage est, du XVe au XVIIe siècle un
phénomène abominablement courant et normal, et concerne en tant qu'esclavagiste
toutes les civilisations de la planète, que ce soit les européens, les turcs,
les arabes, les africains, les indiens, les chinois, les amérindiens.
Dès lors, s'il convient de considérer l'esclavage
avec notre point de vue actuel comme une abomination, la traite négrière
n'était qu'un aspect d'une pratique courante y compris en Afrique et par des
Africains.
Désigner un coupable
Qui dit crime dit criminels. Là encore, on peut ne
s'intéresser qu'à une petite partie du problème, la traite effectuée par des
Français ou au nom de la France. Mais quelle France ?
La France de la noblesse et du roi, infatuée de ses privilèges, ou celle du
tiers état, soumis à l'autorité d'une noblesse tyrannique et contre laquelle
elle mettra des siècles pour se révolter ?
C'est là que certains voudraient encore cultiver la
mauvaise conscience occidentale en l'accusant de crimes qu'elle n'a pas commis.
Cultiver la mauvaise
conscience occidentale
Le coupable c'est le blanc,
ou suivant une versions anticléricale marxiste, le catholique
(3). Peu
importe du blanc qu'il tire ses revenus du traffic d'êtres humains ou que ses
droits sur la terre de France se résument à exploiter une terre qui ne lui
appartient pas pour éventuellement échapper à la famine.
Parce que la victime est, elle, forcément noire. Que ce soit un malheureux,
seul survivant de sa famille, à avoir traversé chaines aux pieds
et entassé dans un entre-pont l'océan vers l'Amérique, ou bien celui qui
s'enrichit sur sa terre d'Afrique de la capture d'hommes, de femmes et
d'enfants à fournir à des acheteurs venus de loins, qu'ils fussent Africains,
Européens, Arabes ou Turcs(4)(5).
Que l'on considère le traffic en direction des Amériques, de l'Asie ou à
l'intérieur de l'Afrique même, chacun de ces traffics concerne entre 10 et 20
millions de victimes sur des périodes allant de l'an 650 à nos jour où cette
pratique perdure. Où est le respect de l'histoire et des hommes, en allant
chercher uniquement en Europe actuelle des coupables d'un traffic ou les
hommes de tous les continents prirent une part active il y a 5 siècles ?
La loi et l'histoire
L'autre problème est celui de la portée de lois.
L'histoire est elle du ressort des historiens ou des juges ?
L'exemple révisioniste rattaché au génocide des
Juifs montre ici encore le rôle des uns et des autres. Si les historiens
effectuent le travaux de recherche et de synthétisation de l'information, qui
dans le cas des nazis livrèrent des masses de documents, le législateur
prévient l'occultation de faits avérés par des éléments qui recoupés,
démontrent sans équivoque l'existence du génocide.
Si les historiens mettent à jours les éléments, les
faits et leurs liens, ils restent aussi les seuls à pouvoir écrire
l'histoire. Le rôle du pouvoir législatif est d'empêcher que des motivations
partisanes ne viennent entâcher ce travail.
Les historiens ont déjà beaucoup travaillé au sujet
de l'esclavage et personne ne met en doute l'existence de ce traffic, ni les
conditions dans lesquelles il s'est déroulé.
Pourtant, il est difficile à l'historien de se prononcer sur une qualification
juridique de ce traffic. Ainsi Max Gallo fut pris à parti parce qu'il ne s'est
pas prononcé sur la qualification à donner au rétablissement de l'esclavage par
Napoléon Ier en 1804 (6
). Mais cela relève t-il de son rôle d'historien que de qualifier
juridiquement cela, et est-ce également le rôle du pouvoir législatif qui
empiète ici complètement dans le domaine de l'histoire. Le révisionisme
serait dans ce cas de nier ou de minimiser la réalité de l'esclavage.
Mais comment qualifier le fait de juger avec des lois du XXe siècle
des faits du XVIIe siècle ?
L'utilisation politique de l'histoire
Toute la problématique que soulèvent ces faits est
l'utilisation de l'histoire à des fins politique.
La théorie qui sous tend cette vision est un tiers
mondisme rendant coupable les européens de la misère en Afrique ou aux Caraïbes
du fait de l'esclavage. Pourtant ce tiers monde est actuellement composé de
nations qui jadis prirent une part active au traffic esclavagiste, sans qu'on
vienne aujourd'hui leur demander des comptes, et l'Europe occidentale fut elle
même une source d'approvisionnment en esclaves pour les traffiquants Grecs,
Romains ou plus tard Arabes et Turcs.
On perçoit ici tout l'inanité de jugements visant à
ressasser le passé pour s'apitoyer sur le présent plutot que de chercher à
améliorer le présent pour batir l'avenir, tous ensemble.
FRANK SOUAMI-FERRAND.