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La judiciarisation de l'histoire

La traite négrière crime contre l'humanité ?

 

(15 avril 2005 )

 



Crimes contre l'humanité

La date du 10 mai a été retenue pour célébrer la "Journée des mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions". Cette date est celle de l'adoption par le sénat de la loi "Taubira" (1) qui proclame l'esclavage et la traite négrière comme crime contre l'humanité.

Si notre vision actuelle du monde considère l'esclavage comme un crime contre l'humanité sans que cela puisse une seconde nourir la moindre polémique, la relecture de l'histoire avec une vision moderne ne peut que soulever l'interrogation. Comment ne pas alors passer au scanner de la conception humaniste actuelle l'ensemble de l'histoire de l'humanité et de toutes ses civilisations ?

On perçoit immédiatement que toutes les périodes qui se sont succédées et qui allaient bien plus tard nourir notre vision actelle du monde ne pouvaient bien évidemment pas y souscrire. Depuis les jeux du cirque jusqu'aux guerres de religions, en passant par le servage, des pratiques que nous qualifierions d'inhumaines, ont existé et on participé à la construction de notre civilisation actuelle et de ses valeurs. On n'en porte pas moins un regard circonstancié d'historien soucieux de replacer les événements et pratiques dans une vision synthétique où on ne fait que constater, en ne portant de jugement qu'en rapport aux pratiques des civilisations d'alors.

Nuremberg

Ainsi, historiquement, la notion de crime contre l'humanité date de Nuremberg et du jugement des criminels nazis ayant planifié et perpétré le génocide  l'encontre des Juifs. C'est un terme jurique créé alors pour définir et pouvoir condamner des crimes dans leur actualité et qui étaient à l'époque où il se sont produits, un phénomène exceptionnel. La mesure prise fut le tribunal de Nuremberg où siégèrent les grandes puissances d'alors pour juger les criminels auteurs du génocide(2).

Le crime contre l'humanité alors défini concernait des criminels vivants lors du jugement, et des victimes parmis lesquelles, les rescapés demandaient justice.


Un anachronisme à visée politique

Détourner cela vers des faits vieux de plus de 200 à 500 ans  pose plusieurs problèmes.

Le premier est l'anachronisme de cette vision qui à l'époque des faits était non seulement inexistante, mais encore inenvisageable. Plus encore, historiquement l'esclavage est, du XVe au XVIIe siècle un phénomène abominablement courant et normal, et concerne en tant qu'esclavagiste toutes les civilisations de la planète, que ce soit les européens, les turcs, les arabes, les africains, les indiens, les chinois, les amérindiens.

Dès lors, s'il convient de considérer l'esclavage avec notre point de vue actuel comme une abomination, la traite négrière n'était qu'un aspect d'une pratique courante y compris en Afrique et par des Africains.

Désigner un coupable

Qui dit crime dit criminels. Là encore, on peut ne s'intéresser qu'à une petite partie du problème, la traite effectuée par des Français ou au nom de la France. Mais quelle France ?

La France de la noblesse et du roi, infatuée de ses privilèges, ou celle du tiers état, soumis à l'autorité d'une noblesse tyrannique et contre laquelle elle mettra des siècles pour se révolter ?

C'est là que certains voudraient encore cultiver la mauvaise conscience occidentale en l'accusant de crimes qu'elle n'a pas commis.

Cultiver la mauvaise conscience occidentale

Le coupable c'est le blanc, ou suivant une versions anticléricale marxiste, le catholique  (3). Peu importe du blanc qu'il tire ses revenus du traffic d'êtres humains ou que ses droits sur la terre de France se résument à exploiter une terre qui ne lui appartient pas pour éventuellement échapper à la famine.

Parce que la victime est, elle, forcément noire. Que ce soit un malheureux, seul survivant de sa famille, à avoir traversé chaines aux pieds et entassé dans un entre-pont l'océan vers l'Amérique, ou bien celui qui s'enrichit sur sa terre d'Afrique de la capture d'hommes, de femmes et d'enfants à fournir à des acheteurs venus de loins, qu'ils fussent Africains, Européens, Arabes ou Turcs(4)(5).

Que l'on considère le traffic en direction des Amériques, de l'Asie ou à l'intérieur de l'Afrique même, chacun de ces traffics concerne entre 10 et 20 millions de victimes sur des périodes allant de l'an 650 à nos jour où cette pratique perdure. Où est le respect de l'histoire et des hommes, en allant chercher uniquement en Europe actuelle des coupables d'un traffic ou les hommes de tous les continents prirent une part active il y a 5 siècles ?

La loi et l'histoire

L'autre problème est celui de la portée de lois. L'histoire est elle du ressort des historiens ou des juges ?

L'exemple révisioniste rattaché au génocide des Juifs montre ici encore le rôle des uns et des autres. Si les historiens effectuent le travaux de recherche et de synthétisation de l'information, qui dans le cas des nazis livrèrent des masses de documents, le législateur prévient l'occultation de faits avérés par des éléments qui recoupés, démontrent sans équivoque l'existence du génocide.

Si les historiens mettent à jours les éléments, les faits et leurs liens, ils restent aussi les seuls à pouvoir écrire l'histoire. Le rôle du pouvoir législatif est d'empêcher que des motivations partisanes ne viennent entâcher ce travail.

Les historiens ont déjà beaucoup travaillé au sujet de l'esclavage et personne ne met en doute l'existence de ce traffic, ni les conditions dans lesquelles il s'est déroulé.

Pourtant, il est difficile à l'historien de se prononcer sur une qualification juridique de ce traffic. Ainsi Max Gallo fut pris à parti parce qu'il ne s'est pas prononcé sur la qualification à donner au rétablissement de l'esclavage par Napoléon Ier en 1804 (6 ). Mais cela relève t-il de son rôle d'historien que de qualifier juridiquement cela, et est-ce également le rôle du pouvoir législatif qui empiète ici complètement dans le domaine de l'histoire. Le révisionisme serait dans ce cas de nier ou de minimiser la réalité de l'esclavage.

Mais comment qualifier le fait de juger avec des lois du XXe siècle des faits du XVIIe siècle ?

L'utilisation politique de l'histoire

Toute la problématique que soulèvent ces faits est l'utilisation de l'histoire à des fins politique.

La théorie qui sous tend cette vision est un tiers mondisme rendant coupable les européens de la misère en Afrique ou aux Caraïbes du fait de l'esclavage. Pourtant ce tiers monde est actuellement composé de nations qui jadis prirent une part active au traffic esclavagiste, sans qu'on vienne aujourd'hui leur demander des comptes, et l'Europe occidentale fut elle même une source d'approvisionnment en esclaves pour les traffiquants Grecs, Romains ou plus tard Arabes et Turcs.

On perçoit ici tout l'inanité de jugements visant à ressasser le passé pour s'apitoyer sur le présent plutot que de chercher à améliorer le présent pour batir l'avenir, tous ensemble.


FRANK SOUAMI-FERRAND.

zeniouze@free.fr

(1) «Loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité» ,

(2) Tribunal de Nuremberg «définition de crimes contre l'humanité» ,

(3) La chronique de Cynthia Fleury, «Esclavage et crime contre l'humanité» , L'Humanité, 2 décembre 2003.

(4) La traite oubliée des négriers musulmans, «La traite oubliée des négriers musulmans», Forum BladiNet

(5) Jean-Michel DEVEAU «Esclaves noirs en Méditerranée», , Cahiers de la Méditerranée, vol 65.

(6) Max Gallo contre le collectif DOM, «La réponse du Collectif DOM», France 3, 4 décembre 2004

(7) Afrique, XVe XVIIe siècle, «ATLAS historique», France Loisirs

Frank Souami-Ferrand est le spécialiste de l'histoire du site zeniouze et participe à l'élaboration d'un site web consacré à l'histoire européenne en cours de parution.

 

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